Les bouteilles de champagne vieilles de 170 ans, découvertes en mer Baltique début juillet 2010, dans les îles Aland, archipel finlandais situé entre la côte de Turku et la Suède, par 50 mètres de fond, font encore parler d’elles. Elles viennent en effet de révèler d’étonnantes caractéristiques du champagne de la fin du 19ème siècle.
Souvenez-vous : Christian Ekström, guide touristique, avait organisé une plongée avec des amis au sud de l’archipel, où plus de 600 épaves sont connues mais non explorées. Le groupe espérait explorer un navire allemand relativement récent et ce sont finalement …des bouteilles que le premier plongeur sur place, Anders Näsman, découvre, dans l’épave d’un navire de 21 mètres, qui n’a pu être identifié.
Et pas n’importe quelles bouteilles, puisque la plupart des 168 bouteilles remontées sont des bouteilles de champagne, provenant des Maisons Juglar, Veuve Clicquot et Heidsieck.
Après 170 ans passés au fond de la mer Baltique à 50 mètres de profondeur[…] ces vins ont conservé les caractères intrinsèques des vins de Champagne.
Les bouteilles sont alors datées et authentifiées. Fabienne Moreau, historienne et responsable du patrimoine chez Veuve Clicquot précise ainsi « Nous avons pu affirmer qu’il s’agissait bien des bouteilles de la maison Veuve Clicquot, élaborées et commercialisées par Mme Clicquot elle-même ».
Les travaux et analyses menés par Philippe Jeandet, de l’unité de recherche vignes et vins de Champagne de l’université de Reims, et par Philippe Schmitt-Kopplin, de l’université de Munich, viennent d’être publiés ce lundi 20 avril 2015 par la revue de l’Académie nationale américaine des sciences (PNAS).
Philippe Jeandet précise “Ce qui nous a surpris, c’est qu’après 170 ans passés au fond de la mer Baltique à 50 mètres de profondeur par une température constante de 4 degrés, ces vins ont conservé les caractères intrinsèques des vins de Champagne en termes d’alcool, de sucres, d’arômes, d’acides organiques, de glycérol ». Le chercheur, également étonné par la préservation du vin et par son élaboration très proche de ce qui est fait aujourd’hui, qualifie ainsi le précieux breuvage de « très jeune, ayant beaucoup de fraîcheur, un note florale ou fruitée.”
Un certain nombre de questions plus techniques restait toutefois en suspens.
Sur un plan historique, il nous a fallu mener de nouvelles recherches pour pouvoir travailler sur les hypothèses soulevées par les résultats des analyses […] Nous nous sommes alors replongés dans les archives pour mieux comprendre certaines pratiques du début du XIXe siècle, par exemple sur le dosage en sucre, l’emploi du sucre de canne, les assemblages.
Les analyses les plus poussées effectuées à Munich, via l’utilisation de 16 techniques permettant de cerner le métabolome (i.e. l’ensemble des petites molécules, les métabolites, tels que les intermédiaires métaboliques, les hormones et autres molécules signal ainsi que les métabolites secondaires, qui peuvent être trouvées dans un échantillon biologique) du vin ont révélé que le champagne étudié avait une teneur en alcool de 9,5 degrés, loin des 12,5 degrés actuels.
“Ce n’est pas un effet du vieillissement, mais la raison probable est que le climat était plus froid à l’époque […] Cela pose la question de savoir si la quantité de sucre était augmentée pour atteindre le niveau d’alcool voulu, on ne sait pas.” Philippe Jeandet
3 fois plus de sucre que dans une bouteille de Coca Cola
Ce qui est certain en revanche, c’est que le goût était bien plus sucré à l’époque. « Le champagne se consommait avec 150 grammes de sucre par litre, c’est l’équivalent de 7 morceaux de sucre par verre », ajoute Philippe Jeandet. Les Russes en mettaient le double, ce qui laisse penser qu’ils n’étaient sans doute pas destinataires des bouteilles, en dépit de la trajectoire du navire.
« D’autres composés ont été trouvés – qu’on ne savait pas identifier à l’époque – comme la castaline » explique M. Jeandet. A noter que l’on ne trouve aujourd’hui ce composé que dans des champagnes fermentés en fût de chêne, comme la cuvée fût de chêne Mater & Filii, alors que les autres champagnes Mater & Filii sont élevés en cuve inox thermo-régulées.
La teneur en fer est également bien plus importante, du fait notamment de l’emploi à l’époque d’outils en fer dans différentes opérations.
Enfin, la présence d’acide acétique, autrement dit…de vinaigre, confirme un mauvais contrôle de la fermentation, « ce qui n’était pas étonnant pour l’époque », précise le chercheur. « Du point de vue de la santé du consommateur, je pense que ces champagnes étaient quasiment aussi irréprochables que les vins d’aujourd’hui », affirme Philippe Jeandet, même s’il y avait des teneurs un peu plus élevées de cuivre provenant du sulfatage des vignes, contre les champignons notamment.
Pour en savoir plus : http://www.sciencesetavenir.fr/insolite/20150421.OBS7683/170-ans-d-age-pour-ce-champagne-decouvert-dans-une-epave-et-il-est-bon.html